Lucien Suel | #JournalJardin

lundi 17 mars 2025, par LM

En 2012, j’ai commencé à publier mon journal de jardinier sur le réseau twitter. Tous mes tweets de jardinier, année par année, jusqu’en 2017, ont été rassemblés et figurent dans le livre « Les Vers de la Terre » (Journaux 2007-2017) édité au Dernier Télégramme en octobre 2018. On trouvera ci-dessous mes derniers tweets de jardin composés en 2018, 2020, 2021 et 2023 inédits en volume.
Lucien Suel

#JournalJardin

À la mémoire de
Fleury Verbrugghe (1896-1985)
et Léon Suel (1920-2018),
nos maîtres jardiniers

2018

23 janvier
Tronçonneuse, scie à bûche, masse et coins de métal pour métamorphoser l’érable plane en stères de bois de chauffage pour l’hiver 2020. Réparation de la clôture, renforcement de cinq poteaux en frêne par des cornières. Au jardin, transport du compost à la brouette.

21 février
Ciel bleu-pâle et petit vent du Nord pour les premiers semis en pleine terre, laitue Batavia blonde et poireau. Les pieds d’artichaut reprennent vigueur. Dans la serre, l’épinard Géant d’hiver fabrique ses feuilles et la Batavia Rouge de Grenoble commence à pommer. #JournalJardin

17 mars
Cette semaine, première utilisation de la fourche-bêche pour retourner le jardin, enterrer le compost, les plantes de l’hiver, chélidoine, pavot, mouron, véronique petit-chêne et mâche montée. Semis et plantation des plantes-racines (carotte, ail, oignon, échalote).

14 avril
Semis des plantes-feuilles : persil, laitue Grosse blonde paresseuse, laitue Batavia frisée de Beauregard, épinard de Viroflay, poirée de Lyon, ciboulette. Les graines de laitue et poireau semées en février ont levé, lignes vertes en pointillés dans la terre noire.

2020

16 mars
Première journée du jardinier retraité confiné dans le jardin sous un soleil radieux. Pose des bâches sur les tas de bois. Arasage des taupinières et ramassage des cailloux. Récolte des scaroles dans la serre. Plantation d’un rosier devant la tombe de Gus.

17 mars
Réparations à la tonnelle dégradée par les tempêtes successives. Semis en bac des poivrons doux, Yolo Wonder et Corne de bœuf. Ramassage du bois mort pour les barbecues, comme une course de vitesse avant que la végétation renaissante n’ait tout recouvert.

19 mars
huit-huit-huit — koui-koui-ki-kiki — kik — ki-ki-ki — tic — trrrt — tsih — tsip-tictictic — huit — tixtixtix — pink-pink — tchouc — srîh — trrrré — tèc — tch — tac — tsyp-tsiep — tsih-tsih-tsih — stî-î-stî-î-stî-î-stî-î-pisti — tsit — tsit-tec-tec — pitt
Sur le fond monotone des tourterelles, je reconnais les prises de solo huit-huit-huit de la sittelle torchepot et le tsyp-tsiep en mode répétitif du pouillot véloce, tandis que je charge, transporte et vide les brouettes de compost sur la terre du potager.

21 mars
L’hiver a été clément, on récolte encore en pleine terre carottes, panais et scaroles. La mâche est superbe et les poireaux n’ont pas été décimés. En revanche, l’essai de bêchage n’est pas concluant même à la fourche-bêche, la terre est bien trop collante.

22 mars
Semis d’un mélange de graines (laitue de Lille, Batavia et Lollo Rossa) en pleine terre, à la volée, sur l’emplacement libre où s’entassait le compost. Semis sous abri, dans le tunnel : chou de Milan de Bruxelles et laitue Grosse blonde paresseuse (sic !).

25 mars
Reprise du bêchage. La terre est meilleure, moins de cailloux, plus de lombrics. Deux oiseaux nous accompagnent de temps à autre, un gros faisan de Colchide rutilant de couleurs qui longe lentement la haie du jardin et, plus proche, Roberto le rouge-gorge.

28 mars
Chaque après-midi, sous un soleil printanier, je bêche pendant quelques heures. J’avance en enterrant le fumier et je pense aussi à ceux qui souffrent et à ceux qui ragent. Anticipant les semailles et les récoltes futures, je médite sur le monde à venir.

30 mars
Bêchage quotidien. Après quelques sillons, je vois le rouge-gorge perché sur une motte de terre fraîche. Il saisit du bec par le milieu un jeune ver de terre d’une dizaine de centimètres. En deux temps trois mouvements exactement, il l’avale gloutonnement.
Pour Roberto le rouge-gorge, je suis l’individu qui lui garantit sa ration quotidienne de protéines. Je me croyais jardinier indépendant. Me voici exploité par un oiseau qui profite de mon travail. Sans parler des souffrances du jeune ver de terre !

31 mars
Terminé le bêchage de la moitié gauche (200 m²). Pour la suite, ce sera plus rapide car une bonne partie est occupée par les rangées de framboisiers, de fraisiers, d’artichauts et de poireaux. Les porte-graines sont des pieds isolés : mâche, carotte, chou.
Entretien et sarclage des framboisiers. Ganté -mais non masqué-, muni d’une griffe, je parcours les rangs à genoux, extirpant pissenlits, lamiers blancs, orties et pieds de veau. J’imagine nos autorités, à quatre pattes, chassant le virus, à toute vitesse.

3 avril
Jamais aussi tardivement, prélevé les dernières scaroles en pleine terre (habituellement, en janvier, le gel les élimine). Rabattu de moitié le laurier-sauce qui surplombait la serre. Mehr Licht ! Perché dans le lilas boutonneux, R.-G. Roberto improvise.

4 avril
À l’extérieur, sur la terrasse, dans un cocktail 1/3 terre+2/3 terreau, opérations de transplantation des Cœurs de bœuf (!) et des Cerises, tomates semées le 29 février. 46+20 godets individuels ; une bonne partie sera offerte à la famille et aux amis.

7 avril
Gros travail à la houe : plantation des pommes de terre (Charlotte, Raja, Chérie), 17 rangs de 15. Il faudra ensuite les butter. Le jardinier espère récolter au mois d’août, en dépit du fait que les autorités l’aient classé dans une tranche d’âge critique.

8 avril
Semé un mélange radis/navets de Nancy, et les premières carottes. Planté l’ail (90 gousses) et l’échalote (30 bulbes) en écoutant mes stations préférées Radio Rouge-Gorge et Radio Fauvette, ni bruit ni fureur, ni propagande ni mensonge, ni haine ni bêtise.

13 avril
Achevant le bêchage, travail répétitif, réflexion en roue libre, je pense à celui qui m’a montré les gestes et les outils ; mon père mort en janvier 2018 dans sa quatre-vingt-dix-huitième année. Il avait cessé tout travail au jardin juste un an auparavant.
Petit à petit, vieillissant, atteint de cataracte, le jardinier avait diminué les variétés cultivées et la surface à travailler, allées de plus en plus larges, jachère sur les bords. Les derniers temps, il avait plus médité et parlé que cultivé et récolté.
Le père du jardinier a rendu le dernier souffle, paisiblement, chez lui, entouré de ses enfants. Je mesure la grâce de ce moment, en ces jours où nombre de personnes âgées meurent sans pouvoir échanger avec leurs proches une parole, un regard, une caresse.

14 avril
Récolté carottes, panais et céleris-raves qui ont pu encore grossir après avoir traversé un hiver clément. Semé les fèves Sutton et les petits pois. Remplacé le garde-fou -un simple baliveau- qui facilite l’accès du jardin vers la Via Francigena ou GR 145.

15 avril
Hors du potager, pour le plaisir des yeux, poussent d’autres plantes. De bas en haut de la colline, devant et derrière la maison, iris, jonquilles, pâquerettes et al., manifestant la beauté du monde, des lieux où lire, où écrire, à l’écart des malfaisants.

2021

13 février
Soleil, grand ciel bleu, gel moins 5°. Travail d’intérieur sur la table de la cuisine près de la cuisinière à bois, plus 23° : semis en godets de graines d’artichaut obtenues d’une fleur épanouie l’an dernier et mise à sécher. Levée prévue samedi prochain.

15 février
Début du dégel, revue des dégâts. Les pieds d’artichaut ont triste mine. À l’abri sous des bâches, carottes et céleris-raves restants ont résisté. Les citernes n’ont pas éclaté. Dans la serre-tunnel, semis de laitues diverses (Appia, Batavia, Lollo Rossa).

19 février
Je vais greffer des arbres. C’est la première fois. Pour les greffons, avec l’échenilloir, j’ai prélevé des rameaux de 20 cm au bout des branches du cerisier Bigarreau Géant de Heldenfingen planté en 2012 et qui a produit sa première vraie récolte en 2020.

7 mars
Dimanche aux confins du royaume. À l’intérieur de la maison, semis en bacs dans un mélange 3/4 terreau / 1/4 terre : quatre variétés de tomates (Noire de Crimée, Coeur de boeuf, Cerise et Poire Rouge) des poivrons Yolo Wonder et des aubergines demi-longues.

8 mars
Premières plantations en pleine terre. Oignons de Mulhouse et ail blanc (44 gousses). Une ligne de fèves Sutton et une de petits pois à l’emplacement des vieux framboisiers éliminés (par eugénisme). A l’autre bout du jardin, les jeunes pousses bourgeonnent.

9 mars
Fourche et brouette. Transport du compost. Chaque brouette renversée formant un tas, au final, le jardin ressemble à un pays de petites collines. Ajout d’une ligne d’échalotes (30 bulbes) près des oignons. Équarrissage à la tronçonneuse d’une souche d’orme.

15 mars
Brèche béante dans la bâche de la serre déchirée par une rapide et fatale rafale de vent. Dans l’attente d’une nouvelle bâche, le jardinier, tel un arrière-petit-fils de Rudyard Kipling, commence le bêchage (fourchebêchage) sous un soleil quasi-printanier.

11 mai
Après la récente plantation en serre des pieds de tomates (Noire de Crimée, Cœur de bœuf, Black Cherry), semis en pleine terre (et en poquets) des cucurbitacées : courge butternut (doubeurre), concombre, courgette longue et courgette ronde de La Tiremande.
Semis d’un mélange qui donnera des haricots blancs ou jaunes ou verts ou bleus. J’innove avec des haricots Princesse, haricots à perche ; il m’aura fallu devenir septuagénaire pour imiter mon grand-père et mon père en créant comme eux ce tipi des haricots.
Longtemps que je n’avais pas sorti la Flore Bonnier du Nord de la France et de la Belgique pour identifier une plante : plante à fleurs, pétales soudés entre eux, quatre étamines, feuilles non opposées non épineuses. Famille des borraginacées, la vipérine.

2023

4 février
Apparition d’une petite flaque verte et blanche de perce-neige ; il faudra protéger les boutons du magnolia avant les gelées de la semaine qui vient. Après élagage des frênes, je choisis des rameaux porteurs de samares sèches pour une performance à venir.

13 février
Retour au potager. Troqué les outils du bûcheron pour la grelinette et le groët ; sans grogner ni grincer, ils aideront à éliminer les renoncules rampantes qui ont profité de l’inattention du jardinier pour envahir et coloniser le terrain des artichauts.

1er mars
Œilletonnage et repiquage immédiat des artichauts suivis d’un arrosage et d’une protection individuelle (conteneur renversé) contre les gelées nocturnes et matinales. Coup de griffe (groët) aux rangées de poireaux et de fraisiers. Abondante récolte de mâche

21 avril
Achevé la plantation des pommes de terre pour l’année. 54 plants d’Osiris hâtives pour la purée et les frites, 48 plants de Charlotte pour les pommes-vapeur et/ou sautées, 90 plants de raja, à cuire au four et pour tous autres usages, sauf la distillation